Eld4-6 - Bobine de Masson

Fonction

Produire et étudier des courants induits ; elle préfigure la bobine d'induction de Ruhmkorff (Eld4-7).

Description

La bobine de Masson que possède le lycée Louis le Grand est mentionnée dans le rapport du comité d’installation à l’exposition universelle de 1900 à Paris sous le numéro 138 avec l’indication « (collection du lycée Louis-le-Grand) ». Il y est dit : « cette bobine est le seul exemplaire qui ait été construit, et qui inspira Ruhmkorff dans la création de sa célèbre bobine qui ne diffère de celle de Masson que par l’interrupteur à marteau remplaçant l’interrupteur à roues. On a offert des sommes considérables de l’exemplaire unique de la bobine de Masson »



Elle est plus sophistiquée que celle que décrit Jamin dans son traité de physique (1870). L’École Polytechnique possède un exemplaire d’une autre version.

Un paquet cylindrique de tiges de fer, d'axe vertical sert de noyau autour duquel sont réalisés deux enroulements superposés : le plus interne est fait de quelques centaines de spires de fil de cuivre isolé d'assez gros diamètre (de l'ordre du millimètre), c'est la bobine inductrice ; le plus externe est fait de quelques milliers ou dizaines de milliers de spires de fil de cuivre isolé de petit diamètre (quelques dixièmes de millimètres) : c'est la bobine induite.

La bobine inductrice est alimentée par une pile et constitue avec celle-ci le circuit inducteur que nous appellerons encore circuit primaire (terminologie moderne).


Le courant dans la bobine inductrice (courant primaire) est établi, puis interrompu, périodiquement à l'aide d'un « rhéotome ». Il s'agit d'une roue en verre mue par une manivelle. Cette roue est cerclée d'une bande de cuivre continue sur un bord, crénelée sur l'autre (la figure 1 représente un développement de cette bande). Une languette de cuivre, reliée à l'autre borne du rhéotome s'appuie en permanence sur la partie discontinue (crénelée) de la bande. Le rhéotome étant introduit dans le circuit primaire on produit une série d'établissements et de coupures du courant inducteur en tournant la manivelle. Il en résulte, dans la bobine induite, et lorsqu'elle forme un circuit fermé, un courant induit de sens inverse lorsque le courant s'établit dans la bobine inductrice. C'est par ces courants induits que Faraday expliquait les phénomènes (étincelles) observés dans une bobine unique dans laquelle on établit puis on coupe le courant.

Pour faire l'étude expérimentale de ces courants induits, Masson conçut l'appareil appelé bobine de Masson et dont nous avons commencé la description précédemment. Il la construisit en 1842 avec Louis Breguet (1804-1883). Il s'agissait en particulier de vérifier que les quantités d'électricité transportées par les courants induits produits à l'établissement puis à la rupture du courant primaire sont égales mais circulent en sens opposés.

De ce fait, Jamin donne une démonstration curieuse, mais incorrecte, ne faisant pas intervenir de champ magnétique (ni de flux). Cependant la propriété est vraie et elle était vérifiée en faisant passer les courants induits dans un voltamètre à sulfate de cuivre : les effets électrolytiques du courant induit inverse sont annulés par le courant induit direct.


La figure 3 extraite du petit traité de Jamin est un schéma disproportionné d'une bobine de Masson et Breguet. Le rhéotome aa’ est introduit dans le circuit inducteur. Le rhéotome cc', placé dans le circuit induit et dont les créneaux conducteurs sont alignés sur ceux de aa’ permet de recueillir en H, pour les étudier (par électrolyse) les courants induits par l'établissement du courant dans le primaire.

Le rhéotome bb', qui est introduit, lui aussi, dans un circuit comprenant la bobine induite et dont les créneaux conducteurs sont alignés sur les créneaux isolants de aa’ permet de recueillir en K les courants induits par l'extinction du courant primaire. On peut ainsi séparer, pour les étudier, les extra-courants de fermeture et d'ouverture.

La bobine de Masson que possède le lycée Louis le Grand est plus complexe, des bornes (4) permettent de fragmenter la bobine inductrice et d'utiliser deux (ou plus) circuits primaires. De même, il y a deux enroulements secondaires.

L'usage, qui nous est familier, des transformateurs modernes, pourrait nous faire penser que Masson faisait varier le rapport du nombre de spires induites au nombre de spires inductrices (« rapport de transformation »). Dans son traité de 1870, Jamin (qui fut collègue de Masson au lycée Louis le Grand) décrit les expériences au cours desquelles les courants induits (dits du premier ordre) produits par une première bobine de Masson alimentent le primaire d'une seconde bobine de Masson dont la bobine induite est le siège de courants induits de deuxième ordre (figure 4) lesquels génèrent des courants induits de troisième ordre dans une troisième bobine de Masson.... Ceci nous amène à penser que la multiplicité des circuits bobinés de notre appareil servait peut-être à des expériences de ce genre.


D'autre part notre bobine de Masson possède, non pas trois comme celle que décrit Jamin, mais cinq rhéotomes de même axe mus par une unique manivelle. Un rhéotome établit et coupe successivement le courant primaire. Les quatre autres sont couplés deux par deux. Deux balais d'un même couple sont reliés à une même borne (figure 4), un tel couple possède trois bornes et fournit deux dérivations qui conduisent à tour de rôle. À quoi servaient tous ces rhéotomes ? Le second couple, supplémentaire par rapport à la bobine décrite par Jamin (figure 3) servait peut-être à l'étude de courants induits de second ordre, mais nous n'en savons rien ! On pourrait aussi se servir des deux couples de rhéotomes pour faire circuler par un montage « en pont » les courants induits direct et inverse dans un même sens dans un récepteur (voltamètre par exemple ; voir figure 5). Mais il ne s'agit que d'une hypothèse de notre part.


Histoire

La vie et l'œuvre d'Antoine Masson sont relatées dans la revue d’histoire des sciences (1947 vol. 1 pp 337-350) par Louis Juvignon sous le titre : Un grand savant bourguignon du XIXe siècle : Antoine Masson. En voici des extraits :

Le 26/11/1828, Antoine, bachelier ès lettres de Nancy quitte cette ville pour venir à Paris, à l’école préparatoire (École Normale) où il passe son baccalauréat ès sciences. Il est licencié ès sciences en août 1830 et agrégé en octobre de la même année. Il est alors nommé professeur de mathématiques élémentaires à Montpellier, puis, le 28/9/1831, il devient professeur titulaire de sciences physiques au Collège Royal de Caen. En 1836 il soutient sa thèse de doctorat : Théorie physique et mathématique des phénomènes électrodynamiques et du magnétisme dédiée à Savary, ami et collaborateur d’Ampère. J’ai cherché dit-il à donner aux calculs de l’illustre Ampère toute la rigueur qu’il désirait lui-même, et je suis arrivé, par l’expérience seule et sans aucune hypothèse à sa loi fondamentale de l’attraction de deux éléments de courant. Il reçut à cette occasion une lettre d’appréciation d’Ampère. Le jeune docteur épouse le 26/8/1836 une charmante caennaise de 17 ans, Mlle Alain et tous les honneurs de la vie universitaire pleuvent sur lui. Le 17/3/1839, il est envoyé à Paris. Il est reçu agrégé de la Faculté de Paris en 1840. En 1841, il est nommé simultanément professeur à l’École Centrale des Arts et Métiers et professeur de physique titulaire à Louis le Grand. En 1850 il est décoré de la Légion d’honneur par le gouvernement de Juillet, mais c’est en vain qu’il pose sa candidature à l’Académie des Sciences. Il se sait atteint de diabète et se soigne lui-même. Son nom figure pour la dernière fois le 31/12/1859 sur le cahier d’émargement de l’économat du lycée Louis le Grand, où il est remplacé par Lechat.


Voici une liste indicative de ses publications :

  • 1834 : note aux comptes-rendus de l’Académie des Sciences sur « l’induction électrostatique »
  • 1835 : note sur un procédé pour amalgamer le zinc des piles de Volta (Annales de Chimie et Physique)
  • 1837 : Recherche sur l’induction exercée par un courant sur lui-même, mémoire qui a obtenu un rapport élogieux de Savary à l’Académie des Sciences (Annales de Chimie et Physique). Notons qu'il existe deux publications antérieures de Joseph Henry sur le même sujet (1832 et 1835)
  • 1838 : Note aux comptes-rendus de l’Académie des Sciences : Expériences de télégraphie par l’intermédiaire des rails et avec substitution des machines électromagnétiques aux piles
  • Mémoire sur l’action déshydratante du chlorure de zinc, son action sur l’alcool pour la production de l’éther et pour l’obtention de divers produits chimiques.
  • Note sur l’absence de propagation de l’électricité dans le vide barométrique.
  • 1839 : publication du cours de Savart au Collège de France.
  • 1841 : Mémoire sur l’élasticité des métaux (Annales de Chimie et Physique).
  • Publication de son Cours de Physique de l’École Centrale.
  • Fameux mémoire sur l’induction (le 23 août avec Breguet fils) où il apparaît comme l’inventeur de la bobine d’induction.
  • 1843 : Note (Société Philomatique, le 11 février) sur l’utilité qu’il y a à métalliser les coussins des machines électrostatiques.
  • Note (Société Philomatique, le 29 juillet) sur les rapports entre les coefficients d’élasticité et les coefficients de dilatation des solides ; il y serait écrit « une même quantité de chaleur produit toujours une même quantité de travail mécanique ». Le mémoire de Robert Mayer sur l’équivalence travail-chaleur date de 1842.
  • 1844 : Deux mémoires de photométrie.
  • Même année et suivantes : il cherche, par ses expériences, à combattre les premières idées de Melloni sur la non identité des radiations calorifiques et lumineuses de même réfrangibilité.
  • 1849 : Note aux comptes-rendus de l’Académie des Sciences : sur les pouvoirs rayonnants des corps.
  • Parallèlement, il s’occupe de perfectionner sa bobine d’induction que Ruhmkorff n’a pas encore prise en mains et se partage entre ses recherches de photométrie, des expériences sur les conditions d’émission de la voix humaine, la construction de boîtes spéciales pour éviter l’échauffement des essieux.
  • 1850 : Note aux comptes-rendus de l’Académie des Sciences (20 mai) de photométrie.
  • Article avec Adolphe Focillon dans la revue de zoologie : Application de l’électricité à l’étude des animaux microscopiques.
  • 1853 : Note aux comptes-rendus de l’Académie des Sciences (6 mai): Études expérimentales sur le mouvement des fluides élastiques. Théorie nouvelle des instruments à vent.
  • Mémoire sur les courants induits de divers ordres : couronné par la Société royale de Harlem ; expériences faites avec une bobine construite par Ruhmkorff.
  • 1856 : Mémoire sur la constitution des courants induits de divers ordres (15 décembre).
  • 1857 : La corrélation des propriétés physiques des corps (2 mars)

En conclusion, Antoine Masson, injustement méconnu de nos jours, fut célèbre à son époque ; sa bobine que Ruhmkorff construit depuis 1851 figura à l’exposition de 1855. Elle figura aussi, nous l’avons dit, à l’exposition universelle de 1900. Les électriciens ont fait figurer le portrait de Masson dans le salon du musée rétrospectif de l’exposition d’électricité de 1900, parmi ceux des trente savants français à qui la science et l’industrie électrique doivent le plus.